chez Nicolas Bokov

NOUVEAUX ECRITS ~ PUBLICATIONS ~ ARCHIVES bokovnicolas@yahoo.fr

Ma photo
Nom :
Lieu : Paris, France

4.7.05

Nicolas Bokov. Du livre de conséquances

L’automne d’autrefois à New York

Da-da mourant murmurant dans le tube d’une trompette glissante et brillante.
Un sanglot oublié.
Sonnant l’assaut: – Rend-toi, pauvre forteresse
de l’existence!
La trompette te trompe.
L’étrange gaîté du combat
désespéré. L’hilarité de la mort
inévitable : Rien à perdre !
La volupté d’un amour
inavoué.

La solitude naissant lors d’une promenade
en compagnie des feuilles brunes bruissant leur détresse sous le pas traînant du passant.
La solitude éprouvée telle une cuirasse plus forte que l’éperon de la mort.
Plus lourde qu’un soupir.

Plus légère cependant qu’une plume du faucon
planant dans le bleu du ciel surpeuplé de fenêtres et de cimes en ciment.
Plus capricieuse qu’une feuille d’automne tournant dans le vent froid et moqueur
qui la colle sur le pare-brise d’une auto en panne : une miss mélancolique au volant.
Vous permettez… justement, changez de pédale… changez de siège…
Je vous ramène… attendez… votre café excellent… votre mouvement si lent… votre regard plein d’attente…
ta bouche pleine de haleine… tes omoplates, oh! de vibration…
tes cuisses si fortes… ce week-end trop court…
Long (comme un adieu) dernier baiser des condamnés à vivre.

Paris

1.7.05

Marie-José Sélaudoux, traductrice

On pourra lire ci-après un des huit textes composant « La Zone de Réponse », dans la traduction de Marie-José Sélaudoux. Certaines circonstances n’avaient pas permis de l’utiliser dans l’édition de 2003.

LE PSAUME QUATRE-VINGT-DIX

Un hiver, en Champagne, tard dans la soirée : partout des volets fermés. Au demeurant, les fenêtres du café sont éclairées, mais les chaises se trouvent déjà retournées sur les tables. Le patron balaie le sol. Au zinc, deux habitués gardent le silence : ils ont épuisé tous les sujets, mais n’arrivent pas à se séparer. Aucun des deux n’est pressé de se retrouver seul.
Derrière l’église, à l’entrée du cimetière, un tas de planches. Une chance ! On peut en faire un siège et, une fois glissé dans le sac de couchage et enveloppé dans le plastique, s’endormir béatement. Assis sur le bois. Le corps, épuisé par les efforts, a emmagasiné de la chaleur pour environ quatre heures.
Mais ensuite le sommeil s’interrompt : les premières aiguilles du froid viennent de piquer le dos et les jambes. Et le temps a changé : la veille il y avait du brouillard, et maintenant le vent apporte un crachin qui vous brûle.
C’est la nuit. On devine à peine la ligne d’horizon. Très loin, le rayon d’un phare de voiture a jailli et traversé le ciel. Une tache blanchâtre signale une grande ville : là- bas, c’est vraisemblablement Reims. Le vent et son léger sifflement dans les fils électriques. Le capuchon sur la tête. Le plastique recouvre le sac à dos, le dos et la poitrine. Poussière glacée. Nuit.
Bienheureux détachement : on ne peut rien modifier. Et c’est alors que le cours de la vie et le cours du temps coïncident. Comment l’expliquer ? En d’autres termes, en l’absence de toute interférence, on sera emporté par le puissant torrent de l’être : comment ai-je déjà parcouru vingt kilomètres ? ! Je ne m’en étais pas aperçu.
Cette étrange « compression » de la distance. « L’immobilité » des heures. Celle dont parle Jean sans donner, malheureusement, d’explication : « et aussitôt la barque accosta à la berge vers laquelle ils voguaient », - lorsque les disciples y accueillirent Jésus marchant sur la mer (6,21) . Mystérieux « aussitôt »...
Le médecin qui opéra le Pape le jour de l’attentat, en 81, ne s’étonna-t-il pas de la même chose ? Il parcourut le chemin jusqu'à l’hôpital en un temps d’une brièveté comme irréelle..

L’aube me surprit dans la bourgade d’Ay. Elle est connue en Russie en tant que marque de champagne (son nom est apparu quelque part dans un poème d'Alexandre Blok).
La première chose à faire est de trouver la poste. Non, pas pour expédier une lettre, mais pour se réchauffer ; il y a du chauffage dans les établissements publics.
Il s’est même trouvé une chaise dans le minuscule bureau de poste. Je me suis assis – comme ça, au chaud, sans bouger, – ah, quel bien-être – pour pendant quinze, allons, vingt minutes, plus longtemps c’est gênant...Et, à peine assis, je me suis endormi...
J’ai senti un regard sur moi et je me suis réveillé. A demi levé, à travers son guichet, l’employé me regardait légèrement étonné, un tantinet compatissant. Un sourire bienveillant s’esquissait sur son visage.
– Je vous remercie, Monsieur, – dis-je en sortant.

Plus loin s’étendait la place avec la mairie et les commerces. Oh, la boulangerie ! la porte s’ouvre et il en sort une enivrante odeur de pain frais.
( Un cri résonna dans ma mémoire, et je me souvins brusquement de tout. Le printemps 86 à Paris, près de l’hôpital St Vincent de Paul où se trouvait ma fille Marie. En allant la voir, je m’achetai un pain pour déjeuner. Je demandai au boulanger de couper un long pain en deux – un pain frais, sentant merveilleusement bon, encore chaud – et je sortis avec dans la rue. Et brusquement, émergeant de la foule rejetée par la bouche du métro, un homme se précipita vers moi. Il se mit à crier d’une voix perçante et grêle : « Monsieur, donnez-moi du pain ! Monsieur, donnez ! » Avec l’accent qui trahit un Espagnol ou un Portugais. Ou un natif d’Amérique Latine. Je lui mis dans la main la moitié du pain. Et après je réalisai que j’aurais pu tout lui donner.
Mais il avait déjà disparu.
Son cri était resté avec moi pendant une semaine, s’incrustant soudain dans ma mémoire . Et maintenant, deux ans après, je lui souris comme à une vieille connaissance).


Il y avait quelques personnes dans la boulangerie, et j’entrai prudemment. Je n’aurais pas demandé s’il n’y avait eu personne ; si la vendeuse m’avait donné du pain, ça n’aurait peut-être pas été par bonté d’âme, mais simplement par peur du vagabond.
– Excusez-moi, madame, – commençai-je, – peut-être vous reste-t-il un peu de pain rassis que vous pourriez me donner gratuitement.
Le moment était mal choisi. La boulangerie venait juste d’ouvrir, et la volonté de vendre battait son plein . Dans le commerce, comme dans toute occupation, la fatigue arrive et on
jette un regard sur la montre. Et alors pourquoi ne pas donner – tiens par exemple cette baguette-là, celle qui est un peu brûlée ? Mais si tôt...
Et les clients prêtèrent l’oreille. Ils n’avaient pas de réaction toute prête et attendaient la réponse avec autant d’intérêt que moi. Réponse sans aucun doute de la patronne : la vendeuse avait dû aller demander ce qu’il fallait faire.
– Je suis tout à fait désolée, Monsieur, mais il ne nous reste plus de pain rassis.
– Je vous remercie tout de même, Madame.
– Il n’y a pas de quoi, Monsieur.

En effet. Petite ville sévère. Evidemment, elle a plus de chic en poésie :
« Je t’ai envoyé une rose noire dans une coupe d’Ay, doré, comme le soleil. »
Ce n’est pas un poème pour rien, et de plus écrit à Saint-Pétersbourg il y a cent ans.
Le lecteur, doté d’une mémoire fidèle, corrigera :
« doré, comme le ciel ».
Et il se trompera : le ciel désespérément gris vous jette une poussière glacée sur le visage.
La très vieille cathédrale Saint-Brice me lança comme un reproche, lorsque je l’aperçus – et m’apaisa en même temps : par ses flèches gothiques, son envol vers le ciel, son éloignement.
Devant elle, la chaussée pavée, la mousse verte. Ce Brice serait-il le disciple de Saint-Martin (Martin le Charitable), celui qui discutait et se querellait avec lui, ce qui ne l’a pas empêché de devenir son successeur au monastère de Tours et d’être aussi compté parmi les saints ? C’est lui.
Ay est située sur un canal parallèle à la Marne et reliant cette rivière au Rhin à Strasbourg.
Et sur la Marne se trouve Epernay , « la capitale du champagne ». La petite portion de route qui les sépare est parfaitement droite – comme le sont tous les chemins dessinés et construits par l’armée. Ces routes militaires sont difficiles pour une marche à pied solitaire. Tracées sur
la carte avec une règle, elles sont plus courtes qu’une route formée naturellement qui serpenterait entre les plis du relief, de village en village. C’est bien pour un bataillon d’y avancer en ordre de marche. Mais pour quelqu’un de seul, ce chemin est interminable : il n’y a pas d’étapes. « Et maintenant je vais aller jusqu'à ce tournant...et maintenant... » Pas d’étapes, et la fatigue arrive sensiblement plus vite.

Et la faim est plus grande. Et au fait, puisqu’on ne peut désormais plus l’oublier, qu’elle soit donc l’occasion de méditer.
Par exemple, son rôle pendant les « guerres saintes » de l’Ancien Testament. Ce n’est pas sans raison que les moines appellent le jeûne « la mortification de la chair ». Privée de nourriture, elle est « mortifiée et irritée ». Et le combat attend le soldat. Il rend l’ennemi « coupable » de la souffrance que la faim fait endurer à son corps. « Il faut le tuer, et après on pourra manger ! » Et il est impossible de manger avant le soir – avant la victoire. Le corps du soldat se hâte, il veut obliger le temps à passer encore plus vite ! Les opérations se précipitent, les attaques sont maintenant violentes – l’armée est invincible. Jusqu’au soir.
Voici l’ordre de Saül, la veille de la bataille contre les Philistins : « maudit soit celui qui mangera du pain avant le soir, avant que je ne me sois vengé de mes ennemis. Et que personne parmi le peuple ne goûte de la nourriture » (1 Samuel, 14, 24). Seul Jonathan, son fils, qui fut plus tard l’ami préféré de David, n’entendit pas le commandement de son père. Dans la forêt il mangea du miel, et « ses yeux s’illuminèrent ». Découvert, il est condamné à mourir.

La faible quantité de nourriture qui permit que « ses yeux s’illuminent » est surprenante...Si vous voulez bien patienter, je vous trouverai tout de suite la citation exacte, pour être bien fidèle au texte jusqu’au bout.
Le dos tourné aux voitures qui passent, protégeant le livre des éclaboussures d’eau...Voilà :
« ayant étendu le bâton qu’il avait à la main, il en trempa l’extrémité dans un rayon de miel et il l’approcha de sa bouche avec la main, et ses yeux s’illuminèrent ».
Juste une gorgée. La réaction du corps est disproportionnée. La faim « absolue » a un poids énorme, et la moindre nourriture le supprime ! La faim n’a pas disparu, mais elle est maintenant différente, ayant perdu de son intensité. Dans cette disproportion, quelque chose apparaît.
« L’énormité » de la faim totale, mais, si on mange un tant soit peu, « l’accoutumance » revient instantanément. Ici réside une sorte «d’immatérialité » – se cache « l’élévateur » de l’ascèse absolue engendrée par la faim totale – n’est-ce pas monter au ciel, vers Dieu ?

« La faim totale » conduit à l’agonie, et le corps résiste désespérément. Mais mourir, c’est pourtant l’affranchissement du corps, – condition obligatoire de l’immortalité. Bien qu’elle ne soit pas conduite jusqu’au bout, la faim devient une très intéressante répétition de la mort et de la Rencontre...

Si le tracé excessivement rectiligne du chemin l’allonge, alors la faim accélère les pas, c’est ce que je pense après avoir atteint la banlieue de « la capitale du champagne ».
Si « ne pas manger » rend plus méchant, alors, évidemment « manger », mieux encore « manger ensemble » sert à la réconciliation. Et notre époque ne diffère pas de celle de l’Ancien Testament. N’importe quel « lunch d’affaires » ou « déjeuner » pendant des pourparlers de ministres et de chefs d’Etat ramène aux temps où Jacob et Laban se réconciliant « mangent le pain ensemble », aux temps où « mangent ensemble » le roi et sa suite, Saül et David. Et Isaac, après avoir mangé un plat délicieux, bénit Jacob, et, bien qu’Esaü, qui avait été trompé, soit arrivé en retard, quelques mots lui furent adressés. Mais pas de bénédiction : impossible de déjeuner à nouveau.

Le crachin a fait place à une neige mouillée qui tombe obliquement. Il est maintenant
plus difficile de philosopher : les éléments sont trop forts, de même que les gémissements du corps. Voici la dernière réserve : la patience silencieuse. Si elle est déjà presque épuisée, reste encore l’habitude...endurer.
Plaisir d’un instant : derrière moi, la porte a claqué et éloigné les intempéries. La salle d’attente de la gare d’Epernay. Un radiateur chaud : oh, le bien-être des mains posées dessus ;
j’entends les muscles de mon visage se détendre, il retrouve sa souplesse.
Le haut-parleur a annoncé l’arrivée du train pour Paris, et tous ceux qui l’attendaient sont sortis. Il n’est resté qu’une femme modestement vêtue, d’environ trente-cinq ans. Elle s’est approchée de la porte et est revenue, une première fois, puis une deuxième, et elle m’a regardé, comme si elle désirait me dire quelque chose. Le grincement des freins du train qui venait d’arriver lui a donné de l’audace :
– Excusez-moi, Monsieur. Que diriez-vous, si on vous proposait un petit billet ?..
– Je serais très reconnaissant, Madame...
– Alors voilà, prenez, s’il vous plaît ! Et bonne chance !
Elle sortit précipitamment, et je demeurai debout avec un billet de vingt francs dans la main.
Comme ça tombe bien qu’il n’y ait personne ! Ces spasmes dans la gorge...et les yeux qui piquent...
Il a porté son regard sur toi et a vu ta détresse, et Il a trouvé ce cœur et cette main pour t’aider...
Béni soit le pays où cette personne a grandi, bénis soient ceux qui l’ont élevée !..
Et je me mouchais et m’exclamais encore jusqu'à ce que les voyageurs pour le train suivant ne s’assemblent. Je partis acheter du pain, beaucoup de pain. J’eus également envie de m’arrêter à Notre-Dame qui est près de la gare, de rester un moment assis dans le crépuscule qui s’épaississait. Acheter et allumer un cierge : l’effort s’est transformé en fête, au cœur de l’oppression, une porte s’est entrouverte – allons, respire et prends courage !
Dieu est imprévisible.

Je revins passer la nuit dans la même salle d’attente.
La tête d’un homme apparut par la porte. M’ayant jeté un rapide coup d’œil scrutateur, il disparut, mais réapparut accompagné d’un autre, lent et costaud.
– Ca va? Tu veux dormir ici ?
Je fis un signe de tête affirmatif.
– On ne peut pas. Nous dormons tous dans la salle d’attente voisine, celle de l’ancienne seconde classe, mais celle-ci, qui était celle de la première classe, est réservée aux voyageurs.
On s’arrange comme ça. Nous t’invitons à passer cette nuit avec nous.
Impossible de ne pas accepter une proposition aussi nette et courtoise.
Dans la salle d’attente voisine se trouvait une vingtaine d’hommes, certains avec des affaires, d’autres sans, les uns habillés « comme tout le monde », d’autres en haillons. Certains – sobres, et d’autres complètement ravagés par l’alcool. Deux ou trois femmes, et même un couple d’Allemands menant une vie de famille jusque dans la rue. Au milieu, les pieds posés sur un siège, un homme nu jusqu'à la ceinture était assis sur le dossier d’une chaise : c’était visiblement « le roi », ou pour parler la langue du XXe siècle, « le président ».
– Tu peux passer cette nuit ici, confirma-t-il. On est quand même au chaud.
Je disposai sur le sol mon plastique et mon sac de couchage. Je mis mes chaussures dessous, au pied du sac de couchage, mon sac à dos – sous ma tête. Et je m’endormis instantanément.
D’ailleurs, je me réveillai aussi instantanément, comme si quelqu’un m’avait heurté.
On parlait de moi. Une voix irritée disait qu’en fait je dormais sans payer, alors que les autres (et en particulier celui qui parlait) devaient payer – apparemment au « président » – 14 francs. Ensuite, pourquoi ne pas « jeter un regard » sur le contenu de « ce vieux sac à dos » ?
En réponse la société garda le silence. Mais ensuite quelqu’un fit écho. Et dit même, d’une voix forte : « C’est qu’il a raison ! »
Il me fut agréable que pas l’ombre d’une inquiétude n’ait pénétré dans mon cœur. C’est toujours ainsi, Seigneur, c’est toujours ainsi, merci à Toi !
D’ailleurs, lorsqu’un danger est imminent, je récite le psaume 90.
Quelqu’un poussait déjà légèrement du pied mon sac à dos. Ceux qui s’approchaient reniflaient de plus en plus fort.

Toi qui habites au secret du Très-Haut,
toi qui loges à l’ombre du Tout-Puissant...


– Tire, tire ! – Ils arrachèrent le sac à dos de dessous ma tête.
– Et toi, tu as payé 14 francs ? ! Tu crois que tu vas les trouver dans son sac ?

De tes yeux seulement tu regarderas
et tu verras la rétribution des méchants.


Au-dessus de moi, il y en avait deux ou trois qui se disputaient. Un quatrième ne put dénouer le cordon du sac à dos et quelqu’un, après avoir proposé de le couper, fit claquer son couteau à cran d’arrêt.

Car à ses anges Il prescrira pour toi
de te garder dans tous tes chemins.


– C’était mon idée, – la voix du meneur perça le bruit.
– Salopard !
Ils tiraient vraisemblablement le sac à dos, chacun de son côté.
– Ah, ah ! – un hurlement sauvage du meneur se confondit avec une gifle sonore. Une deuxième, une troisième. Des coups sourds sur le corps et des cris. On le battait franchement.

...et tu verras la rétribution des méchants...

Le meneur sanglotait dans un coin. Un grognement qui allait décroissant ça et là, comme un orage qui s’éloigne. Le sac à dos tomba à côté de ma tête.
– Eh, toi ! On s’excuse !
Sans jeter un regard hors du sac de couchage, je transformai à nouveau le sac à dos en oreiller et je plongeai dans le sommeil.

Quand je me levai, tous dormaient encore. Seule, dans un coin, une silhouette pitoyable , penchée sur un seau à ordures, était secouée par des accès de vomissement.
Mes chaussures se trouvaient quand même à un autre endroit, pas loin d’ailleurs. Et leurs lacets étaient noués ensemble. Ma foi, ce sont des bêtises, des blagues d’écoliers des années 50. Et les mains des ivrognes avaient manqué d’habileté pour serrer le noeud.
Merci et adieu, – dis-je au choeur de ronflements. Mais, dans la rue de la ville encore sombre, je prononçai à voix haute :

– Parce qu’il s’est attaché à Moi, je le délivrerai !

Dans la campagne, sur la colline, une vieille église se dressait au milieu des noirs ceps du vignoble. Je ne savais pas encore qu’elle s’appelait St Martin de Chavot, que j’y reviendrais dans deux ans.
Car, non loin de là, dans le village de Tours sur Marne, se trouve un manoir du début du siècle, un « château » dans un parc, qui appartenait à un industriel de Reims. A l’époque de la Première Guerre mondiale, l’état-major du front s’y était installé. Et maintenant, c’est un asile pour les enfants handicapés, parmi lesquels vit ma fille.