Lettre à Mr Sergey BRIN
Sur
le sort de la plateforme blogspot
Mr
Sergey BRIN, Co-Fondateur
Google
LLC
1600
Amphitheatre Parkway
Mountain
View, CA 94043 USA
Paris,
le 21 février 2019
Cher Monsieur Sergey BRIN,
Je
m'adresse à vous en votre qualité de dernier défenseur potentiel de douze ans
de travaux consacrés à la création de mon site blogspot. Google+ s'est octroyé
la propriété de ce réseau et m'a informé, ainsi que les autres usagers, de sa
destruction le 2 avril 2019 pour défaut de rentabilité.
Quand
j'ai commencé à créer mes blogs en 2006, en toute confiance pour cette
opportunité qui m'était offerte, l'opérateur ne prévenait pas qu'il ne
s'agissait que d'une prestation temporaire et soumise à son appréciation, et
que je devais me tenir prêt à ce qu'il l'interrompe un jour.
De
telles choses peuvent se produire dans nos existences. Il arrive que l'Etat
projette une nouvelle route et qu'il démolisse les maisons d'habitation qui se
trouvent sur son tracé. Cependant, il verse dans ce cas une compensation aux
habitants, de sorte que leur malheur ne soit pas total.
C'est
ce même malheur qu'il m'incombe d'endurer.
Hélas,
la réglementation ne prévoit pas de code déontologique pour les opérateurs
d'internet. Ils ont le droit de se comporter en la matière comme ils
l'entendent, sans se soucier de s'attirer une réputation de barbare.
Pendant
une période, les fascistes et les communistes anéantissaient les pans de la
culture qui leur étaient inutiles voire qui risquaient de nuire à leur
dictature. On jetait les livres au feu. A notre époque, plus besoin de
brasier : le 2 avril, du simple clic d'un jeune technicien, c'est toute ma
bibliothèque virtuelle qui sera réduite en poussière.
Mais
ce qu'il y a de malheureux, c'est que la raison de son geste soit aussi
insignifiante que le besoin de libérer de l'espace pour quelque chose de plus
rentable, vraisemblablement plus simple et suscitant l'intérêt de millions de
personnes. Votre invention géniale commence à servir la banalité, au mépris de
la rareté, de la création et de l'inspiration. C'est le début d'une maladie,
pour l'individu et pour la société. Les premières taches noires de son cancer.
Et
c'est une affection générale du système d'information. Même dans les
bibliothèques municipales, en France, à présent, l'informatique montre aisément
quels livres sont les plus demandés. Et les autres, moins populaires, sont
retirés des rayons. On forme un type moyen de consommateur culturel, et ses
chances s'amenuisent toujours de pouvoir dénicher un livre rare, un livre qui
le surprenne. Or le génie est si rare, il n'est pas guidé par l'économie, il ne
prend pas toujours la forme d'un produit de consommation de masse. Qui pourrait
l'ignorer, à commencer par vous, qui avez su écouter un jour votre intuition
créatrice et vous risquer hors des grands boulevards de l'instruction
académique ?
Dans
son mail, Google+ écrit en toute naïveté que mon système blogspot sera
interrompu du fait d'un nombre insuffisant de visites.
Sur internet, j'ai lu que dans l'enfance
vous étiez effrayé par la violence du système soviétique et que vous le
condamniez. Je l'ai subie pendant 30 ans jusqu'en 1975, année où le système a
jugé opportun de se débarrasser de moi et de m'envoyer en exil. Mais j'étais né
du ventre du monstre soviétique et je ne souhaitais pas m'en aller, alors je
m'y suis opposé comme j'ai pu. Quelques-unes de mes œuvres se sont répandues sous
le manteau dans des éditions clandestines (Samizdat). Peut-être même que vos
parents ont lu ce livre que je vous envoie. Tout cela était alors rédigé à la
machine à écrire. Quand bien même ! C'est sous cet aspect pré-informatique
qu'il a glissé ses acariens dans l'affaiblissement et l'effondrement du régime
soviétique. Vos parents ont pu vous emmener en Amérique où vous avez trouvé des
conditions pour épanouir votre personnalité et vos talents. Et vous avez
inventé Google, accomplissant une révolution dans la communication entre les
personnes et dans leur connaissance d'eux-mêmes et du monde. Désormais Google+
s'est attaché un + et exploite le marché. La fête du renouveau s'est achevée.
La fleur et le cheval se métamorphosent en crocodile. Le 2 avril, il engloutira
ma bibliothèque virtuelle. Est-il possible que ce soit là le destin de toutes
les découvertes géniales ? Qu'après leurs entretiens avec la divinité du
génie et de la prophétie, les créateurs immanquablement soient supplantés par
des fabricants d'idoles dorées qui entament autour d'elles leurs danses
simplistes ?
Je m'adresse à vous précisément comme
créateur de Google, comme homme de création et de talent.
Je veux exprimer combien je déplore mon
sentiment d'avoir été anéanti.
Je veux croire que m'exprimer sur un tel
motif auprès de vous n'est pas pure naïveté.
Je vous prie d'agréer l'assurance de mon
plus grand respect.
Nicolas Bokov.