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Lieu : Paris, France

13.3.19

Lettre à Mr Sergey BRIN


Sur le sort de la plateforme blogspot

Mr Sergey BRIN, Co-Fondateur      
Google LLC
1600 Amphitheatre Parkway
Mountain View, CA 94043 USA
                                                                                                                                 Paris, le 21 février 2019
                       
Cher Monsieur Sergey BRIN,

Je m'adresse à vous en votre qualité de dernier défenseur potentiel de douze ans de travaux consacrés à la création de mon site blogspot. Google+ s'est octroyé la propriété de ce réseau et m'a informé, ainsi que les autres usagers, de sa destruction le 2 avril 2019 pour défaut de rentabilité.
Quand j'ai commencé à créer mes blogs en 2006, en toute confiance pour cette opportunité qui m'était offerte, l'opérateur ne prévenait pas qu'il ne s'agissait que d'une prestation temporaire et soumise à son appréciation, et que je devais me tenir prêt à ce qu'il l'interrompe un jour.
De telles choses peuvent se produire dans nos existences. Il arrive que l'Etat projette une nouvelle route et qu'il démolisse les maisons d'habitation qui se trouvent sur son tracé. Cependant, il verse dans ce cas une compensation aux habitants, de sorte que leur malheur ne soit pas total.
C'est ce même malheur qu'il m'incombe d'endurer.
     Hélas, la réglementation ne prévoit pas de code déontologique pour les opérateurs d'internet. Ils ont le droit de se comporter en la matière comme ils l'entendent, sans se soucier de s'attirer une réputation de barbare.
     Pendant une période, les fascistes et les communistes anéantissaient les pans de la culture qui leur étaient inutiles voire qui risquaient de nuire à leur dictature. On jetait les livres au feu. A notre époque, plus besoin de brasier : le 2 avril, du simple clic d'un jeune technicien, c'est toute ma bibliothèque virtuelle qui sera réduite en poussière.
Mais ce qu'il y a de malheureux, c'est que la raison de son geste soit aussi insignifiante que le besoin de libérer de l'espace pour quelque chose de plus rentable, vraisemblablement plus simple et suscitant l'intérêt de millions de personnes. Votre invention géniale commence à servir la banalité, au mépris de la rareté, de la création et de l'inspiration. C'est le début d'une maladie, pour l'individu et pour la société. Les premières taches noires de son cancer.
     Et c'est une affection générale du système d'information. Même dans les bibliothèques municipales, en France, à présent, l'informatique montre aisément quels livres sont les plus demandés. Et les autres, moins populaires, sont retirés des rayons. On forme un type moyen de consommateur culturel, et ses chances s'amenuisent toujours de pouvoir dénicher un livre rare, un livre qui le surprenne. Or le génie est si rare, il n'est pas guidé par l'économie, il ne prend pas toujours la forme d'un produit de consommation de masse. Qui pourrait l'ignorer, à commencer par vous, qui avez su écouter un jour votre intuition créatrice et vous risquer hors des grands boulevards de l'instruction académique ?
Dans son mail, Google+ écrit en toute naïveté que mon système blogspot sera interrompu du fait d'un nombre insuffisant de visites.
Sur internet, j'ai lu que dans l'enfance vous étiez effrayé par la violence du système soviétique et que vous le condamniez. Je l'ai subie pendant 30 ans jusqu'en 1975, année où le système a jugé opportun de se débarrasser de moi et de m'envoyer en exil. Mais j'étais né du ventre du monstre soviétique et je ne souhaitais pas m'en aller, alors je m'y suis opposé comme j'ai pu. Quelques-unes de mes œuvres se sont répandues sous le manteau dans des éditions clandestines (Samizdat). Peut-être même que vos parents ont lu ce livre que je vous envoie. Tout cela était alors rédigé à la machine à écrire. Quand bien même ! C'est sous cet aspect pré-informatique qu'il a glissé ses acariens dans l'affaiblissement et l'effondrement du régime soviétique. Vos parents ont pu vous emmener en Amérique où vous avez trouvé des conditions pour épanouir votre personnalité et vos talents. Et vous avez inventé Google, accomplissant une révolution dans la communication entre les personnes et dans leur connaissance d'eux-mêmes et du monde. Désormais Google+ s'est attaché un + et exploite le marché. La fête du renouveau s'est achevée. La fleur et le cheval se métamorphosent en crocodile. Le 2 avril, il engloutira ma bibliothèque virtuelle. Est-il possible que ce soit là le destin de toutes les découvertes géniales ? Qu'après leurs entretiens avec la divinité du génie et de la prophétie, les créateurs immanquablement soient supplantés par des fabricants d'idoles dorées qui entament autour d'elles leurs danses simplistes ?
Je m'adresse à vous précisément comme créateur de Google, comme homme de création et de talent.
Je veux exprimer combien je déplore mon sentiment d'avoir été anéanti.
Je veux croire que m'exprimer sur un tel motif auprès de vous n'est pas pure naïveté.

Je vous prie d'agréer l'assurance de mon plus grand respect.

Nicolas Bokov.